Et puis, deux fois l’an, une page de magazine, une émission littéraire tardive suffisent à entretenir les ventes jusqu’à temps que l’inspiration fasse à nouveau crépiter le clavier.
— … et le roman policier ? — Eh bien ?
— À y réfléchir, il reste encore un polar à écrire. Je me trompe ? Le voilà décontenancé.
Question imprévue. Il parcourt mentalement son œuvre, il doit se rendre à l’évidence.
— Exact ! Pourquoi cette lacune ? Cela interroge.
Un roman policier ! Pas facile, il faut une intrigue ciselée. Roman policier ? Roman policier ! Au moins vous, monsieur le journaliste, ne serez pas venu en vain. Les éditions La Maison siègent, rue d’Hauteville, dans le Xe : un hôtel particulier au décor directoire classé qui n’est plus qu’une boîte à lettres. Saint-Denis Stade France, dans cette banlieue tertiarisée avec bureaux, centre commercial et espaces de co-working, bat le cœur actif de La Maison, un immeuble de trois étages, tout de verre fumé.
Sur la façade brille la nuit, visible depuis la rocade, un écu de gueules, avec épée d’argent en pal chargée en dextre d’une étoile et en senestre d’un croissant, le tout d’or. Pas de nom en grosses lettres. Ce logo suffit. Il est connu de tous.
— Roman policier ! Formidable ! 150 pages bien denses et le tour est joué ! Tu as une intrigue ?
— Il faut un cadre socio-professionnel bien marqué. Je pensais au monde de l’écriture, de l’édition, des critiques…
— Pas mal, la mise en abyme est un procédé efficace. Le polar devient roman à clefs. Tu présentes un premier jus ?
— Je n’ai rien pour l’heure… Edmond marque un temps de silence.
— Nous sommes fin septembre. Je rends la copie pour le bac de philo. Ça ira ?
— Je vois avec le comité éditorial… On se retrouve la semaine prochaine.
Cette dernière phrase est-elle déclarative ou interrogative ? La finale, descendante, validant une décision ou montante, appelant une réponse ? Cette ambiguïté trahit la lassitude d’Edmond, son enthousiasme tiède à attendre, une année encore, un hypothétique polar censé renflouer la Maison.
Alban, lui, se contente d’une mimique de salut militaire et quitte le bureau sans un mot, moyen pour lui de cacher le flou de ses intentions.
— Il va se remettre au travail… Oui, fin juin… Trop tardif ? La banque laisse six mois ! On est si mal ?... Bon… je vais tenter… mais de votre côté rappelez qu’avec lui c’est minimum 250 000 exemplaires assurés…
Oui ! Oui ! Je vais tout faire pour qu’il boucle fin mars… dernière chance pour la Maison… Bordel ! Inutile de me le seriner ! Vous croyez que cela m’amuse de renouer avec lui ? La boîte a été rachetée par un PDG venu de l’agroalimentaire breton.
Il veut s’offrir un panel d’investissements plus glamour que la charcuterie industrielle ou les abattoirs.